Roxy: Un marché de médicament en Cote d'Ivoire

Publié le par Luther

Malgré toutes les campagnes de sensibilisation menées par les autorités, les médicaments, sont toujours vendus dans tous les coins de rue, comme des oranges. Les grosses sommes engrangées par ce commerce, font perdre à ses acteurs, toute éthique et responsabilité.
Roxy, en plein cœur du marché d’Adjamé, est le centre névralgique de ce trafic de médicaments. Il suffit de faire un tour en ces lieux, pour s’en convaincre. Sur près de 500 mètres, les médicaments sont exposés, dans des boutiques ou sur des étals . Les vendeuses, qui tiennent en général ce commerce, rivalisent d’astuces, pour s’attirer la clientèle. Elles proposent toutes les gammes de produits, que l’on retrouve dans les officines de pharmacie de la place. Des antibiotiques, antipaludéens, antalgiques, anxiolytiques, anti-inflammatoires, etc… on trouve également sur les étals, des perfuseurs, des vaccins, des produits de pansements. Les médicaments vendus sont présentés sous forme de comprimés, gélules, sirop, et autres solutions injectables. Ce sont des spécialités, ou des génériques, qui sont proposés aux passants, ou aux nombreux clients, qui fréquentent le marché de gros des médicaments qu’est Roxy. Certains malades, après consultation dans un établissement sanitaire, préfèrent venir à Roxy, ordonnance en main, pour acheter les médicaments. D’autres, par contre, se passent de l’avis du médecin, pour se faire ‘’consulter’’ par les vendeuses, qui conseillent tel produit ou tel autre, indiquent, séance tenante, la posologie à suivre. Si certains malades s’aventurent à Adjamé pour se procurer les médicaments, c’est parce que les prix pratiqués défient toute concurrence.
A titre d’illustration, une boîte de paracétamol effervescent 500mg, vendue en pharmacie à 1600Fcfa, coûte 900Fcfa à Roxy. La boîte de Clamoxyl, vendue à 2200 Fcfa en officine, ne coûte que 1500 Fcfa. Lors de notre passage à Roxy, nous avons été surpris de voir sur un étal, une boîte de Flagyl, avec une étiquette d’une pharmacie, indiquant le prix, 2340 Fcfa. Ce médicament nous a été proposé à 1700 Fcfa. Les vendeuses mettent aussi à la disposition des clients, du Sildefanil 50mg (viagra) stimulant sexuel. Ces produits contrefaits, vendus sous le nom de Venegra ou Erecta, sont vendus à 2000 Fcfa la plaquette, alors que le comprimé de viagra est venu en pharmacie à 9000 Fcfa. A la différence des officines ou les prix sont homologués, à Roxy, les clients négocient pour obtenir les médicaments à bas prix. C’est d’ailleurs là-bas que les vendeuses ambulantes de médicaments viennent en général s’approvisionner.

De la provenance des produits

Les produits pharmaceutiques vendus à Roxy, proviennent des officines de pharmacie, de la Pharmacie de santé publique, (Psp) et des importateurs de médicaments (grossistes). Des réseaux de vente parallèle de médicament existent dans ces différentes structures, et fonctionnent à merveille. Les membres de ce réseau viennent livrer les médicaments aux vendeuses de Roxy, qui, à leur tour, les mettent à la disposition des consommateurs, et des vendeuses ambulantes. Chaque jour, ce sont plusieurs millions de francs cfa, qui sont ainsi brassés. Le hic, est que les produits vendus sont exposés à la chaleur et à la lumière qui altèrent les principes actifs. Parfois, ce sont des produits périmés ou inactifs, qui sont ainsi livrés aux malades. Conséquence : les produits de mauvaise qualité, détruisent le foie, provoquent des insuffisances rénales, des troubles cardio-vasculaires, et entraînent la résistance des microbes.

L’action des autorités compétentes

Que font donc les autorités, pour mettre fin à ce dangereux trafic ? Rien ou presque. Le Dr Kouamelan Christine, présidente du Syndicat national des pharmaciens privés, dit ne pas comprendre le laxisme des autorités compétentes, face à la vente des médicaments dans les rues. ‘’Depuis des années, nous frappons du poing sur la table et personne ne dit rien. C’est scandaleux que les autorités ne réagissent pas. Les grossistes, certains pharmaciens et la Pharmacie de santé publique (Psp) sont impliqués dans ce trafic. On ne fait rien à ceux qui sont à la base. Même ceux qui sont pris, bénéficient de protection », dit-elle, indignée. Le Dr Kouamelan pointe un doigt accusateur sur le ministère d’Etat, ministère de la Santé publique, qui ne fait rien pour mettre fin à la pratique et protéger les consommateurs. « La qualité des médicaments qu’on vend dans la rue est certainement douteuse. Nous ne sommes pas d’accord avec les vendeuses, mais il faut combattre le mal à la racine. Malheureusement, le syndicat n’est pas un organe de sanction », indique-t-elle. Aveux d’impuissance, face à cette véritable nébuleuse qu’est la vente des médicaments dans la rue. Une affaire de gros sous, dans laquelle les initiés se protègent les uns les autres, pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Le Dr Boni, pharmacien, responsable de la structure ‘’santé-conseil’’, reconnaît que les médicaments vendus dans les assiettes et cuvettes, sont de mauvaise qualité, puisque l’exposition à la chaleur, à la lumière et à l’humidité, dégrade leur qualité, et les rend toxiques. Il s’étonne que les pharmaciens créent la concurrence dans la vente de médicaments, en livrant les produits dans la rue, alors qu’ils ont le monopole de la vente des produits pharmaceutiques. ‘’Pour résoudre le problème du prix, certains médicaments sont vendus en détail dans les pharmacies, afin de les rendre accessibles à tous’’, soutient-il. Ce qui n’empêche pas les malades de se tourner vers les vendeuses. Pourtant, c’est un phénomène qu’il faut arrêter le plus tôt possible, souligne le Dr Aka Kroo, président de l’Ordre national des médecins de Côte d’Ivoire. « L’ordre ne cherche pas les causes qui amènent la vente des médicaments dans la rue. A ce stade, nous devons passer à la répression. Les autorités doivent sévir, car cela porte atteinte à la santé des populations. La réglementation est claire. Les médicaments sont vendus dans les officines et non dans la rue par les analphabètes », martèle-t-il.

A qui la faute ?

Cette question mérite d’être posée, car malgré les déclarations d’intention des autorités, malgré les campagnes de sensibilisation, ce commerce se porte toujours très bien. Pour ne pas maintenir l’impression de passivité répandue dans l’opinion, le ministère de la Santé publique s’est doté d’une police sanitaire. Créée par décret n°2003-194 du 3 juillet 2003. Elle est rattachée au cabinet du ministre d’Etat, ministre de la Santé. Son rôle principal est de renforcer le dispositif de veille et de sécurité sanitaire, de procéder au contrôle de l’application de la réglementation sanitaire sur toute l’étendue du territoire national. Selon le commissaire Deli Michel, directeur de la police sanitaire, ‘’cette unité a un pouvoir de coercition. Ce commerce est interdit.
C’est vrai qu’il se fait toujours, mais sa fin est pour bientôt. Si les gens vendent les médicaments à Adjamé, c’est qu’il y a un réseau. C’est ce réseau qu’il faut démanteler », confesse-t-il.

De la filière chinoise

On ne peut parler de la vente des médicaments de rue, sans évoquer les Chinois, qui ont pignon sur rue à Abidjan et à l’intérieur du pays. Ces produits, dont toutes les indications sont inscrites dans la langue du pays de la grande muraille, sont proposés par les ambulants, et par des Chinois, qui sont installés le long des trottoirs. Selon M. Bribo Louis, président de l’Association nationale des auxiliaires de la médecine chinoise en Côte d’Ivoire (Anadamci), les médicaments vendus, proviennent à 90% de la pharmacopée, et sont à base de plantes. Le reste, provient d’une combinaison de plantes et de molécules chimiques, dit-il. Il convient que les médicaments vendus dans la rue sont un danger pour la population, parce qu’ils sont exposés aux rayons solaires, qui ont une action négative sur les médicaments. « Raison pour laquelle, j’ai pris une décision en 2002, pour interdire la vente des médicaments chinois dans la rue. L’association a des responsables dans chaque localité, pour suivre les médicaments de mauvaise qualité. 50 saisies ont été effectuées en 2004. Depuis 2 ans, les produits vendus ont une date de péremption et nous bataillons pour que les indications soient également écrites en français », a-t-il indiqué. Il reconnaît que les produits sont toujours vendus dans la rue, et promet de continuer la sensibilisation pour que cette pratique cesse. ‘’Nous formons nos membres et notre souhait est que les produits se vendent seulement dans les boutiques ouvertes à cet effet, et voulons créer un comptoir unique de médicaments chinois, pour mettre fin à l’anarchie’’, se défend M. Bribo. En collaboration avec le Programme national de la médecine traditionnelle, l’Anadam-ci a entrepris le recensement des membres, pour corriger les tares du secteur. Ce secteur revendique 25.000 membres, dont 600 Chinois, et un chiffre d’affaires de 3 milliards de Fcfa par an. Ceci explique que le médicament attire beaucoup de monde.

Calvin Wandji (calvanfr@yahoo.fr)

Le Front du 10 mars 2005

http://www.lefront.com

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